POEME

de Khalil Gibran

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TERRE
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Que tu es belle, Terre, et que tu es sublime !

Quelle sagesse dans ton obéissance à la Lumière, et quelle noblesse dans ta soumission au Soleil !

Que tu es séduisante, voilée d'ombre, et que ton visage est rayonnant sous le masque des ténèbres !

Que les chants de ton aube sont cristallins, et que les louanges de ton crépuscule sont prodigieuses !

Que tu es parfaite, Terre, et que tu es majestueuse !

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aaJ'ai parcouru tes plaines et gravi tes montagnes. Je suis descendu dans aates vallées et suis entré dans tes grottes.

aaDans les plaines, j'ai découvert tes rêves. Sur tes montagnes, j'ai admiré aata prestance.

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 aEt dans tes vallées j'ai témoigné de ta quiétude. Dans les rochers, aaaa a aaj'ai  senti ta fermeté. Dans les grottes, j'ai touché à tes mystères.
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aaToi qui es prélassée dans ta force, hautaine dans ta modestie, humble aadans tes hauteurs, douce dans ta résistance, limpide dans tes secrets.
 a
aaJ'ai sillonné tes mers, exploré tes rivières, et longé tes ruisselets.

aaJ'ai entendu l'Éternité parler à travers ton flux et ton reflux et les âges aarenvoyer les échos de tes mélodies sur le flanc de tes collines.

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aaaEt j'ai entendu la Vie s'interpellant  dans les cols de tes montagnes
aaaet le long de tes pentes.

aaaTu es la langue de l'Éternité et ses lèvres, les cordes du Temps
aaaet ses doigts,   les pensées de la Vie et ses paroles.

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aaTon Printemps m'a éveillé et m'a conduit vers tes forêts, où ton souffle
aaexhale au loin son doux parfum en volutes d'encens.
aaTon Eté m'a invité dans tes champs à assister à tes couches laborieuses,
aaà la naissance de tes joyaux en fruits
aaTon Automne m'a montré, dans tes vignobles, ton sang couler comme du vin.
aaTon Hiver m'a porté dans ton lit où ta pureté en flocons de neige sème à tout vent.
aaTu es la fragrance à la fleur de l'âge,

aala fougue en bel âge,

aala magnificence à la force de l'âge

aaet lors des glaces de l'âge, tu es cristal.

 aaa
aaPar une nuit étoilée, j'ai découvert les écluses de mon âme et suis allé te
aacôtoyer, le coeur curieux et avide. Et je t'ai vue regarder les étoiles qui te
aasouriaient.

AAA

Alors j'ai rejeté mes fers et mes entraves, car j'ai découvert que le logis
de l'âme est ton univers, que ses désirs grandissent dans tes désirs, que
sa paix demeure dans ta paix et que sa joie est dans cette chevelure
d'étoiles que répand la nuit par-dessus ton corps.

AAA

aaPar une nuit de brume, lassé de rêvasser, je suis allé à ta rencontre.
aaEt tu m'es apparue comme un géant armé de tempêtes en furie,
aacombattant le passé au moyen du présent, détrônant le vieux au profit du
aaneuf et laissant les forts disperser les faibles.
aaAinsi j'ai appris que la loi de l'Homme est ta loi.

aaJ'ai appris que celui qui ne brise pas ses branches desséchées par sa
aapropre tempête mourra de nonchalance. Et celui qui ne se rebelle pas
    pour
faire choir ses feuilles mortes, périra d'indolence.

 aa
ImImenses sont tes dons, Terre,
   et
profonds sont tes gémissements. 

aaEt longues sont les langueurs de ton
aacoeur pour tes enfants fourvoyés
aapar leur cupidité sur le chemin de
aaleur vérité.
 aa
  Nous nous écrions,
aet toi tu souris.

  Nous nous dévoyons,
aet toi tu expies. 

  Nous souillons,
atu sanctifies.

  Et nous blasphémons,
  tu bénis.

 aaa
Nous dormons, sans jamais rêver, et tu rêves dans ton éveil éternel.

Nous te parlons en te perçant le sein d'épées et de lances, et tu panses nos paroles en plaies de tes eaux ointes et embaumées.

aNous semons dans la paume de ta
amain nos os et nos crânes, et tu en
 
fais dresser des saules et des cyprès.
 a
Nous engrangeons dans tes antres
nos scories et nos excréments, et tu
remplis nos greniers et nos tavernes.

 

Nous te défigurons par notre sang,
et tu nous laves les mains dans ce
fleuve d'Eden.

Nous disséquons tes entrailles pour
en extraire canons et fusées, et de
nos ossements tu créés le lys et la
rosée.

 aaaa
Terre, tu es longanime et magnanime.

Et la Terre crie à la terre :

aa"Je suis la matrice et la tombe et je resterai ainsi jusqu'à ce que les
    étoiles s'étiolent  et le soleil devienne de cendres"

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Khalil Gibran

L'Oeil du prophète

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